Bilan après trois années d'expérience
Dr Hervé Auquier, Anh Phong Nguyen PhD
avec l’aimable collaboration de Gaëlle Jessa (Etudiante EP - FSM / UCLouvain)
Depuis longtemps l’activité physique est recommandée dans la prise en charge de l’arthrose. Il en va donc aussi pour la course à pied. Or l’idée que la course à pied est dommageable pour les articulations est encore largement répandue dans la population et même par certains professionnels de la santé.
A ce propos, plusieurs études scientifiques nous éclairent sur plusieurs points :
Poussant la logique un peu plus loin, nous nous sommes demandé si la course à pied pouvait être débutée ou reprise chez un patient souffrant d’arthrose, dans le but d’améliorer la fonction articulaire.
Cela fait trois ans, maintenant, que le programme CAPalgan a été initié par le Dr Hervé Auquier, médecin du sport et enseignant à l’UCLouvain et au STAPS Université de Poitiers et Anh Phong Nguyen, docteur en sciences de la motricité, chercheur, kinésithérapeute et enseignant à l’UCLouvain et au STAPS Université de Poitiers et tous les deux attachés à la cellule médicale de la Ligue Belge Francophone d’Athlétisme et la Ligue Francophone de triathlon.
Le programme
Le programme CAPalgan se propose de suivre sur 9 semaines des patients souffrant d’arthrose (genou, lombaire, hanche, cheville). Les patients sont recrutés lors de nos consultations.
L’accent est mis sur la progressivité de la charge soumise aux articulations. Chaque semaine une session est réalisée en groupe et supervisée par des kinés ou médecins du sport. La séance consiste en un échauffement, des exercices de mobilité articulaire, un travail musculaire et le corps de séance : la course à pied en elle-même. Les patients reçoivent des directives pour courir encore deux fois sur la semaine de leur côté. Au bout de la neuvième semaine une course de 30 minutes est organisée.
Nous l’avons remarqué l’éducation à la notion de charge est fondamentale. Outre le nouvelle charge induite par le programme CAPalgan, il a fallu sans cesse répéter que faire un tournoi de tennis le week-end, faire un city-trip avec trois jours de marche intensive, jardiner à genoux toute une journée, c’est aussi de la charge sur les articulations.
Le programme de chaque patient a été adapté en fonction de ses symptômes : Douleur, gonflement ou raideur articulaires.
Les sessions sont organisées sur piste d’athlétisme, ce qui permet de jongler avec les différents niveaux et capacités de participants. Ceci évitant aux plus lents de devoir dépasser leur capacités pour ne pas perdre le groupe et aux plus rapide de travailler en sous-régime.
Outre l’évolution des capacités articulaires de nos patients, l’expérience a mis en lumière d’une part les causes d’arrêt de la course à pied à un moment de leur vie et d’autre part les leviers de la mise ( ou remise) à la course à pied de patients sédentaires ou devenu sédentaire par la force des choses.
Les participant(e)s
Le programme a bénéficié à 74 patients. Parmi ceux-ci 16 n’ont pas été au bout du programme par manque de temps ou pour un problème de santé qui n’est ni en rapport avec leur arthrose, ni avec la course à pied (Chute en vélo et commotion, …)
Sur le 74 participants, seulement 39 patients (15 femmes et 24 hommes, âge moyen de 61 ans) ont répondu aux questionnaires de fonctionnalité articulaire à distance (KOOS, HAGOS, FAAM, OWESTRY). Parmi eux 7 patients n’avaient jamais couru de leur vie et les autres avaient arrêté depuis plus de 12 mois pour la plupart.
Raisons de l’arrêt de la course à pied
Parmi les 32 anciens coureurs, la plupart ont arrêté à cause de la douleur (77%). La peur d’aggraver la lésion articulaire (40%) était aussi un argument souvent rencontré.
Il est étonnant de voir que 40% ont arrêté suite aux conseils de professionnels de la santé (chirurgiens orthopédistes et médecins traitants en tête, mais également kinésithérapeutes).
Notre chiffre est plus élevé mais va dans le même sens que celui de Hartwell & al. (5) qui montre que 24 % des marathoniens se voient conseiller d’arrêter la course à pied à cause d’arthrose.
La théorie “wear and tear” bien que scientifiquement invalidée depuis des années fait encore force de loi dans les milieux médicaux. Elle se base sur l’hypothèse que nous avons un capital cartilagineux au départ et que chaque choc sur ce cartilage l’endommage et mène de plus en plus vers l’arthrose. Or, nous l’avons vu plus haut, le coureur régulier a moins de risque d’arthrose que le sédentaire. Le cartilage, comme tout tissus humain, a la capacité de s’adapter aux sollicitations. Son renouvellement est certes beaucoup plus lent que celui de la peau ou des muqueuses, mais il existe. Une charge régulière et progressive sur le cartilage lui permet de s’adapter, de s’entretenir.
Il est donc impératif de comprendre, via l’anamnèse du patient, pourquoi l’articulation se met, un jour, à faire mal. Le raccourci est fréquemment fait chez le coureur : « Si tu as mal à ton articulation, c’est à cause de la course à pied ». L’anamnèse doit donc se focaliser sur l’élément déclencheur les douleurs. Chez le coureur, dans la toute grande majorité des cas, une augmentation brutale et importante du volume de course à pied sera mise en évidence. Des travaux lourds accroupi ou à genoux peuvent également expliquer la survenue de douleur d’une articulation arthrosique.
Il ne faut donc certainement pas considérer une articulation comme un vase qui se rempli suite à la pratique répétée de la course à pied (arthrose) et qui, un moment déborde (douleur, impotence). Si la course est régulière et le volume stable ou augmente progressivement, le niveau d’eau dans le vase restera stable.
Comme nous l’avons vu dans notre expérience, proposer à un patient arthrosique d’arrêter la course à pied va de pair avec une certaine sédentarité et une prise de poids et tout le cortège de pathologies connexes. Ce conseil « nocebo » va à l’encontre du bon sens élémentaire de santé publique.
Adhésion au programme
Parmi les différents facteurs motivant l’adhésion et la poursuite du programme, les participants placent en tête l’encadrement par des professionnels de la santé (92%), ensuite la pratique en groupe (82%) et ensuite la progressivité de la charge et le lieu de la pratique (75%) (salle indoor d’athlétisme en plein hiver). Ceci corrobore ce que nous disent les études scientifiques.
Dans notre expérience, l’encadrement médical est présenté par la majorité des participants comme l’élément principal d’adhésion et de continuité du programme.
Plusieurs études mettent l’accent sur l’importance de l’information et du suivi professionnel médical et para-médical dans la mise en activité physique de sédentaires.
Le manque de soutien par des professionnels des soins de santé affectent l’adhésion à l’activité physique (Fiaccadori et al., 2014 ; Kendrick et al., 2019 ; Collado-Mateo et al., 2021).
En effet, de nombreux patients relatent que le manque de conseils individualisés et d’encouragements renforce le mode de vie sédentaire (Fiaccadori er al., 2014).
De nombreux patients rapportent de ne pas être suffisamment informés sur les bénéfices de l’activité physique, aussi bien pour leur pathologie que pour le bien-être général (Kendrick et al., 2019).
Cette situation est préoccupante : Dans l’étude de Duaso & Cheung (2001), seuls 4% des 500 patients en soins primaires ont déclaré avoir reçu des conseils en matière d’exercice physique de la part de leur médecin.
Du côté des professionnels de la santé, 40% sont préoccupés quant aux risques associés à l’exercice, et plus de 50% estiment que les patients ne suivraient pas les recommandations, même si on leur en prescrivait. ( Johansen et al., 2003).
L’étude de Mazzei & al (2023) a montré que seulement 19% des patients souffrants de gonarthrose ont suivi les recommandations de traitements conservateurs (Education, activité physique, management du surpoids et antalgique). 42 % ont suivi des traitements non recommandés voir farfelus. 34% ont demandé un autre avis chirurgical et ont été opérés d’une prothèse totale de genou directement.
Pourtant de nombreux patients réclament un encadrement et des informations concrètes sur le type d’exercice, l’intensité, la durée et l’impact sur leur pathologie. Il a été, par ailleurs, démontré que le taux d’adhésion est plus élevé lorsque les exercices sont prescrits par un médecin plutôt que par un autre professionnel de la santé. (Mulchandani et al., 2019). Collado et al. (2021) ont constaté que les patients éclairés par les bienfaits de l’activité physique sont plus enclins à adhérer à des programmes d’exercices.
La pratique en groupe est le deuxième pilier de l’adhésion à notre programme CAPalgan. Ainsi, pour 80% des participants il s’agit d’une condition importante de participation.
De nombreuses études ont évalué l'impact des activités en groupe sur l'augmentation de l'engagement des personnes sédentaires à l'activité physique.
En effet l'adhésion aux différents programmes augmente lorsqu'elles sont organisé en groupe. (Vehi et al., 2016 ; Cantwell et al.., 2022 ; Young et al., 2024).
Young a également montré que faire de l’activité entre personnes de même condition (médicale) dans un encadrement bienveillant renforce davantage l’adhésion à un programme.
Le lieu de l'activité physique vient en 3e position des leviers motivant l'adhésion au programme en l'occurrence, une salle indoor d'athlétisme. Les sessions CAPalgan se sont échelonnées sur toutes les saisons sauf l’été, ce qui permettait de pratiquer la course à pied dans des conditions favorables de luminosité et température à l’abri des caprices de la météo belge.
On observe que le climat est un facteur pouvant affecter la régularité des adultes sédentaires à la pratique d'une activité physique. En effet le temps froid est associé positivement au comportement au sédentaire. Les personnes atteintes de maladies chroniques signalent être plus actives pendant l'été avec une réduction de l'adhérence en hiver en raison du froid et de la neige (Harding et al., 2024 ; Kendrick et al., 2019).
La régularité de la pratique physique est influencée par le climat, en particulier lors de conditions météorologiques défavorables on note également que le changement de saison influe sur l'adhésion à l'activité physique point en effet, l'étude menée par Bird et al (2019) montre que les soirées d'hiver constituent un obstacle à la participation à une activité physique. Très peu de personnes ont adhéré aux séances du soir durant cette période, expliquée par l'insécurité perçue. L'exercice à domicile est alors vu comme une solution pratique pour certaines personnes en mettant entre autres de surmonter l'obstacle des conditions météorologiques qui impacte négativement l'adhésion (Valenzuela et al., 2018).
Effets du programme de course à pied.
Nous avons suivi 39 participants ,7 d'entre eux n'avaient jamais pratiqué la course à pied. Les 32 autres avaient déjà pratiqué ,23 avaient arrêté totalement depuis le diagnostic d'arthrose ,7 avait diminué de plus de 50% le volume d'entraînement et 2 n'avaient rien changé à leur pratique.
Plaisir ressenti
On le sait, le plaisir ressenti pendant l'activité est probablement l'élément clé pour assurer une adhésion à un programme de remise en forme chez une personne sédentaire. Nous avons questionné nos participants sur ce plaisir ressenti au moment même de la pratique de la course à pied et le lendemain. Cette notion de plaisir ressenti ne se focalise pas uniquement sur leur articulation arthrosique mais sur un sentiment général.
Ainsi 87% des participants se disent satisfaits et très satisfaits du plaisir ressenti au moment de la pratique et 79% le lendemain de la pratique. Les raisons de ce plaisir ressenti sont probablement multiples et proportionnellement différentes d'un participant à l'autre.
Sans entrer dans le processus neurobiologique du plaisir et de la récompense, on peut imaginer que l'impact sur leurs conditions physiques, sur le fonctionnement de l'articulation, sur l'état mental et la perception du corps font certainement partie de ce processus.
L'impact sur la condition physique après 9 semaines d'entraînement régulier, 74% des participants se disent satisfaits et très satisfaits de l'amélioration de leurs conditions physiques. Pour la plupart courir 30 min sans arrêt relevait de l'impossible 9 semaines plus tôt.
L'impact sur l'articulation
À la question globale : « Quel est l'effet du programme CAPalgan sur votre articulation ? » 66% des participants ont répondu qu'ils sont satisfaits et très satisfaits de l'évolution de l'articulation à distance du programme, 15% n'ont pas vu de changement,15% se disent insatisfaits et 3 % très insatisfaits.
L'analyse ultérieure des questionnaires de fonctionnalités que nous avons soumis aux participants nous éclairera sur les points précis de ce contentement : douleur articulaire, mobilité et fonction, raideur.
9 patients ont arrêté la course à pied directement après le programme 6 pour cause de douleurs récurrentes ,1 pour cause de gonflement et 2 participants en préféraient d'abord perdre du poids avant de poursuivre la course à pied mais n'avait rapporté aucune douleur ni gonflement articulaire.
À 2 ans, 3 patientes ont bénéficié d'une prothèse totale de hanche dont 2 avaient déjà pris la décision avant la participation au programme et un patient a bénéficié d'une prothèse totale de genou point ce dernier pratiquait le tennis à raison quatre heures par semaine.
L'impact sur l'image du corps.
69% des participants sont satisfaits très satisfaits de l'image de leur corps après le programme.28% sont sans avis et 3% sont déçus.
L'impact sur le mental
84% sont satisfaits très satisfaits de l'impact sur leur bien-être mental
On le voit, la satisfaction à la participation au programme CAPalgan est multifactorielle. Outre le but premier, une amélioration de la fonction articulaire, on le remarque l’impact est également physiologique et psychologique.
L'après programme
Parmi l'ensemble des participants, coureurs et non coureurs, 79% ont continué à courir. Si 62% courent encore actuellement,15% se sont arrêtés entre 6 mois et un an après la fin du programme. Cet arrêt secondaire n'est pas en rapport avec le fonctionnement de l'articulation mais suite à un problème de santé différent ( commotion cérébrale, opération des varices, troubles des rythmes cardiaques). L'absence de groupe et le manque de motivation a eu raison de 2 coureurs.
Parmi les anciens coureurs, 8 sur 32 n'ont pas continué la course à pied. Six pour cause de douleurs récurrentes et deux ont préféré perdre du poids avant de poursuivre la course à pied. Ces 6 coureurs constituent les vrais échecs du programme CAPalgan chez les anciens coureurs.
Parmi ceux qui n'avaient jamais couru soit 7 patients, 3 courent encore actuellement , 3 ont arrêté après 6 mois pour cause d'opération des varices pour l'un, commotion cérébrale pour l'autre et douleur articulaire pour le troisième. Un patient n'a pas poursuivi la course à pied après le programme pour cause de gonflement articulaire.
Conclusions
Notre étude apporte un embryon de réponse à l’impact de la course à pied sur l’arthrose. Des études à plus grande échelle sont nécessaire pour étayer nos conclusions.
Néanmoins, il semble que débuter ou reprendre la course a pied sur de l’arthrose n’est pas délétère. Pour certain elle fut même une porte de sortie de la sédentarité acquise depuis l’arrêt de la pratique.
Si la progressivité de la charge imposée à l’articulation est l’élément fondamental pour la bonne évolution, l’encadrement médical ou paramédical est un élément capital pour le bon déroulement et l'adhésion à un programme de remise à l’activité physique d’une personne arthrosique.
Le travail en groupe est un aspect motivant à l’adhésion au programme de course à pied, d’autant pour des patients souffrant d’une même pathologie.
Bibliographie
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